Denise, fille de résistant

 

Guerre 39-45

 

« On était heureux », répète Denise Polez-Poissonnier, née le 21 mars 1923 à Mons-en­-Baroeul, en évoquant son enfance encore très marquée par les activités campagnardes. Mons était alors une petite ville d'environ cinq mille habitants avec ses maraîchers et ses fermes.

 

À l'époque des moissons, Denise allait glaner les épis de blé, et s'ils étaient mal rangés dans son panier, sa mère la renvoyait : il fallait tasser pour en récolter le maximum. Le grain était ensuite séché, puis donné aux poules.

 

Elle devait aussi aller chercher le lait battu, deux fois par semaine, à la ferme Barbry. Mais au retour la petite gourmande s'asseyait parfois sur la marche de la chapelle Sainte Thérèse pour déguster les morceaux de beurre surnageant à la surface du pot. Le jour où sa mère découvrit le pot... aux roses, ce fut l'occasion d'une belle attrapade dont elle se souvient encore avec amusement.

 

À Noël, on faisait la fête avec trois litres de lait et une coquille de deux kilos. Il ne fallait pas rater le début de la messe de minuit. Celle-ci commençait toujours par le chant du « Minuit, chrétiens ». Le père de Denise, Henri, avait lui-même une belle voix. Il avait été chantre à l'église avant son mariage.

 

Les années de guerre.

 

 

 

En 1939, la famille Poissonnier habitait au 329 rue Daubresse-Mauviez (aujourd'hui rue du Général de Gaulle). Denise a vu partir les chevaux de la brasserie voisine. Ils étaient bien une cinquantaine, menés par les livreurs avec leur grand tablier de cuir. Ils avaient été réquisitionnés pour les besoins de l'armée. Tous les Monsois qui n'étaient pas « sous les drapeaux » étaient à leur porte pour regarder le triste défilé. La mobilisation commençait et ouvrait une période de cinq années douloureuses.

L'année suivante, Henri Poissonnier, alors âgé de quarante ans, refusa d'accepter la défaite et de s'en tenir là : il ne voulait pas, dit-il, « devenir boche ». Nous avons relaté son parcours de résistant, mort en camp de concentration, dans « Mons-en-Baroeul, du village à la ville ». Nous nous en tiendrons ici aux souvenirs complémentaires évoqués par sa fille Denise.

 

 

 

De l'activité clandestine de son père, elle sait peu de choses car il n'en parlait pas à ses filles. Elle se souvient du portrait du Général de Gaulle qu'il avait rapporté et qu'on avait caché dans la barre creuse de la cuisinière pour le sortir au jour tant espéré de la libération. Elle parle de sa mère qui s'étonnait et s'inquiétait de voir son mari changer trop souvent de tramway lorsqu'il se rendait à l'imprimerie Léonard-Danel où il était photograveur, devant le square du « P'tit Quinquin », rue Nationale à Lille.

Un tableau représentant une jolie rose gravée par son père, son dernier cadeau à Denise, trône sur le mur de la salle à manger. Elle revoit encore celui qui, elle en est sûre, a dénoncé Henri, sortir de sa poche et déposer sur la table des faux papiers compromettants, malgré les injonctions de prudence de Mme Poissonnier. Très peu de temps après, Henri était arrêté par les occupants.

 

L'arrestation du père

 

« Faites-y attention, elle a peur ! » Ce sont les dernières paroles que Denise a entendues de son père, dites à son oncle qui était salarié dans la même entreprise, ce 19 juin 1944, jour de l'arrestation chez Léonard-Danel, vers 11 heures. C'était le premier jour où elle travaillait elle-même à l'imprimerie, avec lui. À l'heure du repas de midi, comme elle s'étonnait de ne pas le voir, on lui répondit : « Ton père n'est pas là, il a été emmené par les Allemands. »

 

Des tortures, du procès et de la mort en déportation d'Henri Poissonnier, nous avons déjà parlé. La famille de Denise a reçu quelques informations par recoupements, mais plus tard...

 

 

 

Elle a appris que, le jour même de l'arrestation du photograveur, un prisonnier évadé, muni de faux papiers et travaillant aussi chez Danel, avait pu prendre le large avant l'arrivée des Allemands.

Elle a vu, lors du procès, l'individu qui suivait le résistant monsois depuis quelque temps dans le tram pour le surveiller. De là, la certitude qu'un des membres du réseau, très proche d'Henri, avait parlé...

Ci-contre la têtière de « La Voix du Nord » clandestine, adoptée en janvier 1943 et gravée par Henri Poissonnier d'après un dessin du journaliste Jean Piat, est reproduite ici sur des carreaux de céramique.

 

 

 

La police allemande a perquisitionné au 329 rue Daubresse-Mauviez, mais elle n'a jamais trouvé les preuves de la fabrication de faux papiers par Henri Poissonnier. Sa femme avait caché les outils accusateurs dans une boîte à biscuits qu'elle avait ensuite enterrée sous le poulailler.

 

Après la guerre, la commune a fait apposer une plaque commémorative sur le mur de la maison. Lors de la démolition de celle-ci pour l'extension de la brasserie, en 1996, Denise a pu récupérer, fort heureusement, la lourde plaque de bronze. Elle la conserve précieusement ainsi que la reproduction du dessin, gravé par son père, de la têtière de « La Voix du Nord » clandestine, le célèbre journal de la Résistance.

 

Texte de Jeanne-Marie Caudron à partir de l'entretien avec Denise Polez
animé par André Caudron, Jean-Pierre Daerden et Jacques Desbarbieux
Photographies de Jacques Desbarbieux
Janvier 2003

 

 

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