L'ancien patron de la brasserie raconte

 

Entreprises

 

 

Jean Deflandre en compagnie du livre sur l'histoire de Mons. Sur son bureau, le fameux trophée Pélican dont un exemplaire fut remis au coureur Jan Janssen lors du Tour de France cycliste de 1968.

 

Jean Deflandre, ancien patron de Pélican, aujourd’hui Heineken, rue du Général de Gaulle à Mons, porte fièrement ses quatre-vingt-dix ans. Que de souvenirs ! Issu d’une famille de Braine-le-Comte, près de Bruxelles, il représente la cinquième génération de brasseurs. Après l’étude de la bactériologie à Copenhague, il entre au Pélican, l’entreprise paternelle, alors située boulevard de Lorraine à Lille.

 

En 1937, il pilote la fabrication d’une nouvelle bière. Au début du siècle, la chope ne titrait pas plus de 2°5 d’alcool. Au contraire des Allemands qui buvaient, par litre il est vrai, des bières légères, les Français, sans doute par habitude du vin, se montraient amateurs de boissons plus corsées. D’où la création de la Pelforth 43 : Pel vient de Pélican ; forte, elle l’est par son degré d’alcool ; le h veut faire british et 43 (en référence au régiment lillois) apporte un numéro pour mieux concurrencer la Porter 59.

 

En 1939, Jean Deflandre succède à son père à la tête du Pélican et c’est la guerre et ses difficultés d’approvisionnement. Toutes sortes d’ingrédients seront alors mêlés au jus de houblon : betteraves, pommes de terre, blé et caroubes (fruits méditerranéens à la pulpe sucrée). Certains refusent d’adapter les règlements aux nécessités de l’époque. C’est le cas du directeur de la Brasserie de Mons qui verra sa production chuter notablement. Le différend qui l’oppose à Mme Waymel, propriétaire de l’usine monsoise, entraînera le départ du directeur qui reprendra la brasserie des Trois Moulins à Fives. Pendant la guerre, la société Pélican loue deux hectares de terrain à Saint-André pour en faire des jardins ouvriers. Afin d’éviter le vol des précieuses patates et autres légumes, deux hommes surveillaient les lieux, jour et nuit, dans une cabane attenante.

 

De la Brasserie de Mons à Heineken

 

La Brasserie coopérative de Mons, créée en 1903, fausse coopérative car la famille Waymel détenait la majorité du capital, était devenue une des plus importantes de l’arrondissement de Lille. Vers 1954, M. Deflandre rachète 30 % des actions. Progressivement Pélican reprend l’entreprise monsoise et possède 95% du capital vers 1970. La Bière de Mons sera encore vendue sous cette marque jusqu’en 1975.

 

L’usine travaille 350 jours par an, nuit et dimanche compris. L’eau nécessaire à la fabrication est pompée sur place, par forage, directement dans la nappe phréatique, à 80 ou 100 mètres de profondeur. Il en faut beaucoup ! Pour 1 litre de bière en 1935, on utilisait 20 litres d’eau. L’instauration d’un impôt sur l’eau va rendre les brasseurs plus économes…et l’on en arrive à 5 litres d’eau pour 1litre de bière.

 

 

Le conditionnement et les transports, eux aussi, évoluent. Dès 1920, on se sert des bouteilles à bouchon mécanique. La « couronne » venue d’Amérique apparaît vers 1925. Les lourds fûts de chêne, pour les cafés, contiennent 100 litres et leur entretien est assuré par des tonneliers dans l’usine. L’acheminement se fait, soit sur des charrettes tirées par des chevaux (au moins 50 chevaux dans l’écurie du Pélican jusqu’aux années soixante-dix), soit en camions de 5 tonnes à partir de 1930. Il fallait deux livreurs bien costauds – on les appelait cartons – pour manœuvrer un tonneau de 110 kg.

M. Deflandre n’a pas développé l’histoire des conflits sociaux qui agitèrent, à l’occasion, son entreprise. Il évoque l’essor de la production du Pélican : 200 000 hl en 1950 contre 100 000 avant la guerre A son arrivée, la Brasserie de Mons ne commercialisait que 80 000 hl. C’était pourtant une grande usine, seule à l’époque, avec l’imprimerie Goossens, sur les lieux de l’actuelle Zone industrielle. A deux cents mètres, la pièce d’eau entourant le château Scrive faisait la joie des ouvriers qui allaient y pêcher.

 

En 1962, M. Deflandre obtient le passage de l’autoroute à la Peau de vache. Le projet initial prévoyait la traversée de la brasserie ! A propos des négociations avec Heineken, vers 1985, il rappelle que le patron hollandais s’était fait kidnapper peu avant. Détenu pendant deux mois, Freddy Heineken avait payé une lourde rançon. Il est arrivé à Mons, avec ses gardes du corps, dans un cortège de sept Mercédès blindées. L’insécurité ne date pas de maintenant.Aujourd’hui, à côté de quelques géants brassicoles, renaissent de petites brasseries artisanales, une centaine en France, selon M. Deflandre. Elles produisent des bières moins normalisées, mais toutes à déguster avec modération, bien sûr, comme les autres boissons alcoolisées !

 

Caudron JM

 

 

La bière
En chaque enclos, l'été; l'hiver sous chaque toit
Où la province
S'attable, au jour le jour, et boit
Le bourgmestre est prince,
Mais le brasseur est roi.
Sa brasserie, elle est là bas, lourde et fumante,
Et la chaleur s'active, et les boissons fermentent;
Et lui-même surveille et du geste et des yeux
Le moite et sourd travail avec les feux
(...)
L'homme est hospitalier, facile et cordial;
Dans sa maison au long trottoir, près du canal,
La bière,
A celui qui la boit devant un feu vermeil,
Semble sortir en robe de soleil
Du creux des verres...

 

Emile Verhaeren.

 

 

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