Gabriel Pagnerre a signé plus de deux cents dans la
métropole lilloise. Une architecture inventive.
Enfin ! Gabriel Pagnerre sort de l'oubli, après un long
purgatoire. Lors des dernières Journées du
Patrimoine, plusieurs centaines de personnes ont admiré,
dans les rues de la métropole lilloise, les maisons de cet
architecte prolifique. L'association historique de
Mons-en-Barœul, qui organisait ce circuit, prépare
maintenant un livre et aimerait diffuser le film qu'elle a produit
(1). C'est que la vie et l'œuvre de l'architecte sont
passionnantes : « Pagnerre avait la volonté de
s'ancrer dans son époque, explique l'architecte
Nathalie Ponchel. Entier, passionné, engagé,
talentueux, il a pris des risques. Il a emprunté un nouveau
vocabulaire chez les maîtres de l'architecture contemporaine,
au risque de déplaire ».
En 1987, Nathalie Ponchel est la première à
prendre Pagnerre au sérieux. Étudiante à
l'École d'architecture de Lille, elle effectue, pendant un
an et demi, un repérage de ses constructions. Elle retrouve
aussi Nelly, sa fille, qui, peu de temps avant sa mort, lui confie
ses souvenirs familiaux. Né en 1874 a Petite-Synthe, Gabriel
Pagnerre a appris son métier sur le tas, dans le cabinet
d'architecture de son père. C'est sa chance : en
échappant à la formation académique, il
s'affranchit du classicisme alors en vigueur. * Pagnerre est en
recherche, comme Louis Quételard ou Horace Pouillet (2),
raconte Nathalie Ponchel. Il va puiser dans tous les styles pour
essayer de renouveler le vocabulaire architectural : c'est un
architecte de l'éclectisme ». Son premier cabinet,
situé au 255 de la rue du Général de Gaulle
à Mons-en-Barœul. est un beau témoignage de
cette période.
Un homme de convictions.
« Son style se rapproche ensuite de l'Art nouveau,
façon Victor Horta ou Paul Hankar (3), reprend Nathalie
Ponchel. Après guerre, Pagnerre prend le contre-pied de
cette tendance en adoptant un vocabulaire plus
géométrique, plus épuré. Il
évolue vers une architecture de volumes, en créant
des balcons, des auvents, des terrasses... » En 1925, il ose
un mariage audacieux entre brique et béton dans une maison
de ville à Coudekerque-Branche (16, rue Molière). Sa
dernière maison, au 5 de la rue Franck à Lille, puise
ses références chez Mallet-Stevens et Le Corbusier
(4).
Victime de trois congestions cérébrales,
Pagnerre connaît une fin de vie tragique. Son univers
s'effondre. Son cabinet est en faillite, sa femme le quitte.
À sa mort, en 1938, l'architecte n'a pas que des amis.
«Très ancré politiquement, c'était un
pur et dur, poursuit Nathalie Ponchel. Il n'a pas toujours
laissé de bons souvenirs. » Des convictions
tranchées commentées par André Caudron,
secrétaire de l'association historique de
Mons-en-Barœul : « Progressiste, Pagnerre s'est
très tôt rapproché des communistes. En 1925. il
critique dans L'Enchainé, un journal engagé, les
célébrations du 11 novembre, qu'il juge trop
triomphalistes. Il fallait oser ». Selon André
Caudron, Pagnerre développe aussi dans ses écrits la
vision futuriste d'une grande métropole lilloise : * II
évolue ensuite vers une forme de régionalisme
exacerbé •.
Par chance, le temps - et les promoteurs immobiliers - ont
relativement épargné l'œuvre de Gabriel
Pagnerre. Deux villas monsoises, rue du Général de
Gaulle (Saint-Luc et Le Rêve), ont été ainsi
sauvées in extremis dans les années 80. Le Vert
Cottage, son deuxième cabinet, également à
Mons-en-Barœul, est heureusement toujours debout,
malgré les menaces. Profitons-en pour valoriser ce
patrimoine !
sylvain marcelu
A voir...
À Mons-en-Barœul. 255, rue du Central de
Gaulle : le premier cabinet d'architecte. D'autre? villas rue du
Général de Gaulle : 165 (Pax). 174, 176, 200
(Saint-Luc). 202 (Le Rêve). Au 2, rue du Quesnelet : le
deuxième cabinet d'architecte, le Vert Cottage,
d'inspiration anglaise. A voir, le pavillon de l'arrière
(accès par le 2, avenue du Trocadèro), construit pour
sa mère. Enfin, la rue Pasteur est peuplée de maisons
Pagnerre : voir au 16-18, 57. 65, 67, 69. 86, 88.
A Marcq-en-Barœul. Rue de la Prévoyance :
en construisant en 1932 ces maisons modestes, Pagnerre donne
à chacune une pointe d'originalité. Au 44/46, avenue
de Flandre, la maison jumelle, longtemps abandonnée, a
été transformée en bureaux.
A La Madeleine. Villas au 25, rue du Docteur Legav (les
Fauvettes), au 57, rue de Paris, aux 49. SI, 53 et 55, rue
Berthelot. au 121, avenue de la République,
A Lille. Dans le quartier du Lion d'Or à Fixes,
Pagnerre est intervenu place Alexandre Dumas (9, 11. 16 et 38) mais
aussi rue d'Artagnan (4 et 6). Au 90. rue Racine à Wazemmes,
l'ancienne Poste abritait autrefois le Mondial Cinéma.
À voir aussi, une maison géométrique au 82.
rue Claude Lorrain. Enfin, au 5, rue Franck : sa dernière
construction. Les deux maisons mitoyennes sont aussi signées
Pagnerre.