« On était heureux », répète
Denise Polez-Poissonnier, née le 21 mars 1923 à
Mons-en-Baroeul, en évoquant son enfance encore
très marquée par les activités campagnardes.
Mons était alors une petite ville d'environ cinq mille
habitants avec ses maraîchers et ses fermes.
À l'époque des moissons, Denise allait glaner les
épis de blé, et s'ils étaient mal
rangés dans son panier, sa mère la renvoyait : il
fallait tasser pour en récolter le maximum. Le grain
était ensuite séché, puis donné aux
poules.
Elle devait aussi aller chercher le lait battu, deux fois par
semaine, à la ferme Barbry. Mais au retour la petite
gourmande s'asseyait parfois sur la marche de la chapelle Sainte
Thérèse pour déguster les morceaux de beurre
surnageant à la surface du pot. Le jour où sa
mère découvrit le pot... aux roses, ce fut l'occasion
d'une belle attrapade dont elle se souvient encore avec
amusement.
À Noël, on faisait la fête avec trois litres
de lait et une coquille de deux kilos. Il ne fallait pas rater le
début de la messe de minuit. Celle-ci commençait
toujours par le chant du « Minuit, chrétiens ».
Le père de Denise, Henri, avait lui-même une belle
voix. Il avait été chantre à l'église
avant son mariage.
Les années de guerre.
En 1939, la famille Poissonnier habitait au 329 rue
Daubresse-Mauviez (aujourd'hui rue du Général de
Gaulle). Denise a vu partir les chevaux de la brasserie voisine.
Ils étaient bien une cinquantaine, menés par les
livreurs avec leur grand tablier de cuir. Ils avaient
été réquisitionnés pour les besoins de
l'armée. Tous les Monsois qui n'étaient pas «
sous les drapeaux » étaient à leur porte pour
regarder le triste défilé. La mobilisation
commençait et ouvrait une période de cinq
années douloureuses.
L'année suivante, Henri Poissonnier, alors
âgé de quarante ans, refusa d'accepter la
défaite et de s'en tenir là : il ne voulait pas,
dit-il, « devenir boche ». Nous avons relaté son
parcours de résistant, mort en camp de concentration, dans
« Mons-en-Baroeul, du village à la ville ». Nous
nous en tiendrons ici aux souvenirs complémentaires
évoqués par sa fille Denise.
De l'activité clandestine de son père, elle sait
peu de choses car il n'en parlait pas à ses filles. Elle se
souvient du portrait du Général de Gaulle qu'il avait
rapporté et qu'on avait caché dans la barre creuse de
la cuisinière pour le sortir au jour tant
espéré de la libération. Elle parle de sa
mère qui s'étonnait et s'inquiétait de voir
son mari changer trop souvent de tramway lorsqu'il se rendait
à l'imprimerie Léonard-Danel où il
était photograveur, devant le square du « P'tit
Quinquin », rue Nationale à Lille.
Un tableau représentant une jolie rose gravée par
son père, son dernier cadeau à Denise, trône
sur le mur de la salle à manger. Elle revoit encore celui
qui, elle en est sûre, a dénoncé Henri, sortir
de sa poche et déposer sur la table des faux papiers
compromettants, malgré les injonctions de prudence de Mme
Poissonnier. Très peu de temps après, Henri
était arrêté par les occupants.
L'arrestation du père
« Faites-y attention, elle a peur ! » Ce sont les
dernières paroles que Denise a entendues de son père,
dites à son oncle qui était salarié dans la
même entreprise, ce 19 juin 1944, jour de l'arrestation chez
Léonard-Danel, vers 11 heures. C'était le premier
jour où elle travaillait elle-même à
l'imprimerie, avec lui. À l'heure du repas de midi, comme
elle s'étonnait de ne pas le voir, on lui répondit :
« Ton père n'est pas là, il a été
emmené par les Allemands. »
Des tortures, du procès et de la mort en
déportation d'Henri Poissonnier, nous avons
déjà parlé. La famille de Denise a reçu
quelques informations par recoupements, mais plus tard...
Elle a appris que, le jour même de l'arrestation du
photograveur, un prisonnier évadé, muni de faux
papiers et travaillant aussi chez Danel, avait pu prendre le large
avant l'arrivée des Allemands.
Elle a vu, lors du procès, l'individu qui suivait le
résistant monsois depuis quelque temps dans le tram pour le
surveiller. De là, la certitude qu'un des membres du
réseau, très proche d'Henri, avait
parlé...
Ci-contre la têtière de « La Voix du Nord
» clandestine, adoptée en janvier 1943 et
gravée par Henri Poissonnier d'après un dessin du
journaliste Jean Piat, est reproduite ici sur des carreaux de
céramique.
La police allemande a perquisitionné au 329 rue
Daubresse-Mauviez, mais elle n'a jamais trouvé les preuves
de la fabrication de faux papiers par Henri Poissonnier. Sa femme
avait caché les outils accusateurs dans une boîte
à biscuits qu'elle avait ensuite enterrée sous le
poulailler.
Après la guerre, la commune a fait apposer une plaque
commémorative sur le mur de la maison. Lors de la
démolition de celle-ci pour l'extension de la brasserie, en
1996, Denise a pu récupérer, fort heureusement, la
lourde plaque de bronze. Elle la conserve précieusement
ainsi que la reproduction du dessin, gravé par son
père, de la têtière de « La Voix du Nord
» clandestine, le célèbre journal de la
Résistance.
Texte de Jeanne-Marie Caudron à partir de l'entretien
avec Denise Polez
animé par André Caudron, Jean-Pierre Daerden et
Jacques Desbarbieux
Photographies de Jacques Desbarbieux
Janvier 2003