« Huguet » comme tout le monde le rappelait,
était un clochard monsois (et hellemmois) par le hasard de
la réimplantation de la ferme de Monsieur et Madame Delerue.
Il reste une figure locale que bien des Monsois ont connue. Il est
né en juin 1884 et décédé le 28 mars
1950. Monsieur Delerue, qui était agriculteur à
Hellemmes (mais la plus grande partie de ses terres étaient
sur Mons-en Barœul), nous a raconté quelques anecdotes
sur ce personnage un peu hors du commun.
Le corps de la ferme Delerue était bâti
initialement sur des terrains monsois ; c'est à la suite
d'un incendie dans les années 1880 qu'elle fut reconstruite
à cheval sur les deux communes. En effet, la légende
du mauvais sort conseillait de ne pas réimplanter les
bâtiments là où un incendie les avait
frappés. Ce fut la toute dernière ferme de
Mons-en-Barœul. Ses pâtures et champs se situaient aux
abords du groupe scolaire La Paix et des terres occupées
aujourd'hui par Sodenor, Lidl et la Mosquée. Un petit chemin
permettait d'accéder à la ferme en venant de Mons ;
il s'appelait « Chemin des amoureux » tan l'endroit se
trouvait isolé de toute habitation.
La générosité des occupants des lieux fit
que le clochard Huguet y trouva ce refuge ; nous dirions
aujourd'hui que le gîte et le couvert lui étaient
généreusement accordés... Quoi de mieux ? Pour
l'anecdote, il y eut jusqu'à 14 «pensionnaires»
occasionnels dans cette ferme ; mais Monsieur Huguet en
était l'officiel, le respect lui était dû, il
était le maître dans sa marginalité. À
ce sujet, Monsieur Delerue a confirmé n'avoir eu aucun vol -
ne serait-ce qu'une poule - dans sa ferme, le fait est à
souligner.
"Ch'ti qu'a inventé le travail qu'à l'faire
li-même"
Albert Huguet a été fidèle sa vie durant a
cette idée, et c'est ainsi que l'on pourrait résumer
sa devise. Il avait son certificat d'études primaires, pour
l'époque (1899) c'était bien. Il s'autorisait parfois
à distribuer son savoir à qui le lui demandait. Mais
bien que certains l'aient dit, il n'écrivit jamais de
poèmes. Homme honnête, il excellait à faire les
courses pour l'un ou pour l'autre, quelle que soit la distance.
À cette occasion Monsieur Delerue se souvient fort bien
l'avoir envoyé chercher des pains de glace à Lille
(rappelons-nous qu'à cette époque, il n'y avait ni
frigo, ni congélateur). Albert Huguet avait en poche
l'argent nécessaire pour l'aller et le retour en tramway.
Courageux, il faisait le trajet à pied, profitant de ces
quelques sous pour s'offrir un verre, voire deux. Il est inutile de
vous dire que le pain de glace avait passablement fondu,
arrivé au seuil de la ferme.
S'il lui est parfois arrivé d'aider Monsieur Delerue
à ramasser les pommes de terre, sa présence
était de courte durée, 30 à 45 minutes, jamais
plus. Un jour, le tramway passant à proximité du
champ, le wattman l'interpella en lui disant « Tu vas faire
changer le temps ». C'était suffisant pour qu'il cesse
immédiatement son travail. Il était (malgré
lui) l'attraction locale, le fait de s'occuper ne correspondait pas
à cette image de libre vagabond qu'il avait soin
d'entretenir. Personnage sympathique, sa réputation
s'étendait au-delà de Mons et d'Hellemmes. Il
était même connu à Lesquin et Lezennes. Il se
restaurait un peu partout, mais refusait de rentrer dans
l'habitation de la ferme ; il avait ses habitudes dans le hangar ;
s'il venait à faire trop froid, il logeait dans
l'étable. C'était un personnage solitaire, pas de
femmes, ni de copines ; il préférait prendre son
temps à étancher sa soif... « des neuvaines
», entre autres, l'entraînant à découcher
de son hangar et dormir à même le trottoir.
Le bain d'Huguet dans le spectacle Son et lumière de
l'Association Jonas en juin 2004.
Heureusement pour lui, son chien veillait sur son maître,
personne n'osait s'en approcher. De braves gens voulant lui
apporter de l'aide ont douloureusement apprécié ce
garde à quatre pattes. La police s'en souvient, tout comme
Monsieur Delerue. Albert Huguet n'a par contre jamais commis de
délit et les personnes qui le rencontraient se montraient
souvent indulgentes envers lui. Il affectionnait aller à la
Guinguette et aux ducasses nombreuses en son temps.
Côté vestimentaire, c'était le pardessus
été... comme hiver, il attendait tout simplement
qu'on lui fournisse d'autres habits. Ses vêtements
n'étaient pour ainsi dire jamais lavés.
Côté hygiène, elle correspondait à son
état de clochard : le minimum. Encore heureux qu'une
voisine, Alphonsine Mahieu, tondait de temps en temps son chien. Le
matériel de coupe étant sorti, elle s'occupait des
cheveux et de la barbe du maître. C'était la seule
coquetterie qu'il acceptait. Vous pouvez vous en rendre compte sur
la photo et sur la reproduction dénichée dans les
archives de Madame Cayzeele, d'une peinture de Joseph Colomar.
C'est dans le grenier du café « Le Grand Saint
Pierre » que fut réalisé le portrait d'Albert
Huguet ; une banque s'y trouve aujourd'hui. La peinture fut faite
au grenier pour des raisons d'éclairement et de
tranquillité pour l'artiste. Joseph Colomar est
décédé ; son fils résidant à
Lezennes recherche l'original de la peinture, il semblerait, sans
trop de certitudes, que ce tableau se soit retrouvé dans une
galerie parisienne. Clochard de profession, Albert Huguet n'a
jamais dérogé à sa règle de vie. Il
n'était pas sans famille, il avait un frère
plombier-zingueur et une sœur. Il est
décédé le 28 mars 1950 à 4h30 du matin,
je dirais officiellement car l'enregistrement ne fut fait
qu'à l'ouverture des bureaux, c'est-à-dire 8 heures,
au moment où le commissaire reprenait son travail et
constatait lui-même le décès. Notre clochard
est mort dans l'étable, la tête dans le caniveau, en
respirant l'émanation des urines des vaches. Il aurait
roulé du haut des ballots de paille sur lesquels il dormait.
L'attachement de la famille Delerue à ce singulier
personnage a fait qu’elle se soit occupée de tout :
dans un premiers temps de l'installer dignement ailleurs que dans
l'étable, puis de trouver sur Hellemmes un menuisier pour
lui faire un cercueil. La ville d'Hellemmes a envoyé une
camionnette pour enlever le corps et l'amener à
l'église Saint Denis. La messe d'enterrement eut lieu le 31
mars, elle fut concélébrée par les
Abbés Farvaque et Roussel ; une cinquantaine de personnes
assistèrent à la cérémonie ; le
grand-père de Monsieur et Madame Delerue était en
grande tenue, celle du dimanche. Le fils conduisait le convoi
mortuaire. Au fur et à mesure du déplacement, c'est
un cortège de plus de deux cents personnes qui accompagna
Albert Huguet au carré des indigents du cimetière
d'Hellemmes. Pour l'anecdote, ce jour-là il y avait une
grève, c'est peut-être une des raisons pour lesquelles
il y eut autant de participants à ce convoi
funéraire. Une nièce d'Albert Huguet était
présente ce jour-là. Sa tombe est restée
fleurie plus de dix ans. Habituellement les concessions pour les
indigents ne duraient que sept ans.
Merci à Madame Cayzeele pour le prêt des photos,
et Monsieur Delerue, son papa, âgé de 83 ans, pour sa
participation et son étonnante mémoire sur des
événements aussi anciens.
Association historique de mons-en-barœul - janvier
2005
photographies de jacques desbarbieux et jonas -
texte de gérard prouvost