L’expansion économique de la métropole
lilloise, dans la seconde moitié du XIXe siècle,
incita une vague d’immigrants belges à
s’installer dans la région, et parmi eux, les
frères Désiré et Jean-Baptiste Delgutte.
Très vites orphelins, ils sont tous deux formés
à l’art du moulage (s’appliquant au stuc, au
plâtre ou à la terre - cuite) par des artisans belges.
Désiré s’initie avec succès à la
sculpture ornementale durant les années 1860 dans
l’atelier d’Emile Chantry, à Lille. les deux
frères créent leurs entreprises au moment opportun :
les besoins de l’industrie et du commerce entraînent
précisément à cette époque le secteur
du bâtiment dans une croissance sans
précédent.
En outre, à Paris, les expositions universelles de 1878
et de 1889 consacrent l’âge d’or de la
céramique architecturale, dont la vogue disparaîtra
progressivement après 1918. Colorés, «
inaltérables », les produits en terre - cuite,
émaillés ou naturels, trouvent une place
privilégiée sur les façades des maisons ou des
usines du Nord, où ils relèvent la tonalité
sombre de la brique ; à l’intérieur, le stuc et
le staff s’imposent par leur rapidité de pose, leur
solidité et le besoin de reproduire aisément toutes
sortes de motifs. Désiré et Jean-Baptiste vont
être les créateurs de nombreux décors, encore
visibles aujourd’hui, exécutés sous la
direction des plus célèbres architectes de la
région et qui seront admirés et primés de
nombreuses fois. Il semble que Désiré ait
possédé une inventivité constante, qui lui
permit de répondre à la commande extravagante du
« palais de Congo » par exemple, ou de déposer
deux brevets d’invention pour des voûtes
légères réfractaires et des briques «
à parois mortaisées »…
C’est cette même curiosité, ce même
esprit entreprenant, qui se retrouvera dans les deux fils de
Désiré, Georges et René, qui
collaborèrent avec leur père avant de poursuivre des
carrières qui se croisèrent souvent. Les modes
changeant, ils privilégièrent le stuc et le simili -
marbre et simili - pierre plutôt que la
céramique.
Georges, imitant son père, quitta sa terre natale pour
s’installer en Algérie et y diversifia ses
activités. René s’illustrera dans les chantiers
de la Reconstruction, et notamment dans les églises ;
chantiers dans lesquels il retrouva plusieurs architectes ayant
collaboré avec son père.
Désiré Delgutte (1844-1912)
– 1844 –
Naissance à Saint-Sauveur, en Belgique, le 10 mai.
– 1855 –
Orphelin, il est apprenti « plafonneur »
(plâtrier) chez des artisans belges qui travaillent en
France.
Entre 1860 et 1870, il entre dans l’atelier d’Emile
Chantry à Lille, sculpteur - ornemaniste
renommé.
– 1872 –
Epouse Marie- Clara (1851-1930) à Saint André (nord)
le 14.12.1872.
– 1873 –
Hôtel Hartshorn à Nottingham, Grande-Bretagne, (E.
Vandenbergh, arch.) pour le compte de Chantry.
– 1876 –
Création de l’entreprise avec l’aide de Chantry.
Désiré se définit comme stucateur et
céramiste.
– 1880 –
Naissance de son premier fils, Georges, le 30 juin.
– 1882 –
Installé au 157 rue du Faubourg de Tournai (future rue
Pierre Legrand, à Lille ( Fives), Médaille de la
Société Régionale des Architectes du Nord de
la France.
– 1883 –
Installation au 4 rue Malsence. Naissance de René le 19
mars.
– 1884 –
Château à Flixecourt dans la Somme, (P. L.
Deleforterie, arch.). Son frère Jean-Baptiste (1847-1906)
est installé au 34 rue de Lannoy en tant que «
plafonneur ». Il restera dans ce quartier de Mons, en
s’installant en 1890 au 76 rue Stien.
– 1889 –
Publicité pour « travaux artistiques en pierre et
marbre artificiels ».
– 1892 –
Construction du Palais du Congo à Tourcoing (E.
Dupire-Rozan, arch.), terres-cuites. Médaille d’argent
à l’exposition d’art industriel de Lille pour
une cheminée en stuc et terre-cuite. Conservatoire de
musique de Tourcoing, (L. Leroux, arch.), chéneaux en terre
- cuite (démontés depuis). Immeuble rue Patou
à Lille (G. Dehaut, arch.).
– 1893 –
« Spécialités d’ornements en terre-cuite
et carreaux de revêtement vernissées à dessins
de toutes nuances ». Habitation de M. Morael à
Dunkerque (A. Liagre, arch.), « terre - cuite et
simili-pierre ».
– 1894 –
Deuxième médaille de la Société
Régionale, « à Désiré Delgutte,
entrepreneur de travaux en stuc, simili-pierre et terre cuite,
demeurant à Fives -Lille, à titre exceptionnel
médaille de vermeil ».
– 1899 - 1900 –
Transfert des ateliers et de l’habitation au 33 (futur 197)
rue Jean-Jacques Rousseau (ancien chemin Saint-Martin ), à
Mons-en-Barœul. La construction de l’ensemble des
maisons de cette rue, entre le boulevard Leclercq et
l’impasse Dutha, date certainement de cette période.
Les Delgutte en sont les « promoteurs » et les
constructeurs.
Désiré a 56 ans, et on imagine aisément que
Georges (20 ans) et René (17 ans) travaillent
déjà avec leur père.
– 1900 –
Dépôt du premier brevet pour un « nouveau genre
de plafond suspendu en mortier ciment armé à base de
matières isolantes et incombustibles offrant toute garantie
contre incendie » ; 1901 – Dépôt du
deuxième brevet pour des « Briques à parois
mortaisées, émaillées, engobées ou
naturelles cuites avec tenons cazette en charge ou autrement
».
– 1902 –
Hôtel particulier à Cambrai ( L. Fortier arch ) Place
Eugène Thomas, céramiques… à l’
emplacement de l’ ancien magasin aux poudres, le co-prince de
Bavière y a logé le 7.10.1914 ( de 1919 à 1926
il a abritait la sous-préfecture .
– 1903 –
Frise de céramiques ( les quatre saisons et le travail du
lin ) ainsi que la chapelle du collège N. Dame à
« le Tuquet ». Mouscron Belgique ( architecte Fache. )
Hôtel de Ville de Solesmes – L. Fortier arch) hall,
cage d’ escalier, salle des fêtes… stuc et staff
1903-1907 – Hôpital de la Fraternité (Th.
Colliez, arch.) à Roubaix, céramiques
(cloisonnés, coquilles, cabochons…).
– 1905 –
Hôtel particulier à Paris, (R. Sergent, arch.).
« Escalier et cage ».
– 1906 - 1912 –
Eglise du Saint-Sacrement à Fives, voûtes, colonnes,
banc de communion, fonts baptismaux…Désiré et
René travaillent gratuitement à la décoration
de leur église, détruite en 1944.
– 1907 –
Chambre de commerce de Lille (L. Cordonnier, arch.) colonnes en
stuc (salle Descamps).
– 1908 –
Hôtels particuliers à Roubaix (A. Liagre, arch.).
– 1907 - 1911 –
Hôtel de ville de Roubaix (V. Laloux, arch.), cheminée
monumentale de la chambre de commerce (stuc). Médaille
d’or à l’Exposition Internationale de
Roubaix.
– 1912 –
Décès de Désiré, le 11 avril. Chapelle
au premier cimetière de Mons.
– Sans date –
Eglise Saint -Barthélémy à Vieux - Berquin,
(O. Cockenpot, arch.), voûtes en stuc.
Eglise Willems ( avec Léon et Alphonse Delgutte )
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Georges Delgutte (1880-1940)
– Avant 1911 –
Paris puis Départ pour l’Algérie.
– 1925 - 1929 –
Georges séjourne en France (nouvelles
publicités).
– 1933 –
Dirige une briqueterie à l’Alma ; fabriquera
également des vitraux à Alger.
Georges exercera également la profession de
géomètre - expert à Tizi-Ouzou. Il continuera
de posséder des fours et d’expérimenter de
nouveaux émaillages jusqu’à sa mort en
Algérie.
Le départ de Georges pour l’Algérie peut
s’expliquer en partie par les relations professionnelles de
la famille Delgutte. En effet parmi les architectes clients de
l’entreprise se trouvent Edmond Duthoit et peut être
aussi Gustave Umbdenstock qui auront des missions officielle dans
la « colonie » avant 1914. Il est possible aussi que ce
soit à la faveur de la construction du théâtre
d’Oran en 1907 par Léonce Hainez (autre client des
Delgutte et auteur du théâtre Sébastopol
à Lille) que Georges soit parti.
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René Delgutte (1883-1974)
René bénéficiera d’une formation
professionnelle à l’école Saint-Luc de Tournai.
D’autre part, il sera momentanément associé
à Clotaire Dumont entre 1918 et 1930. Une collaboration,
infructueuse, sera également tentée avec la firme
Borrewater.
– 1914 - 1918 –
René, par ailleurs photographe passionné, fait des
photos d’identité sous l’occupation.
– 1922 –
Premier séjour en Algérie de René. Chantiers
près de la frontière marocaine (Oued Tafna,
Relizane…)
– 1926 - 1931 –
Reconstruction de la basilique Notre-Dame de Brebières
d’Albert (L. Duthoit, arch.), colonnes en stuc, autels,
éléments décoratifs…
Les années 20 sont la grande période de la
Reconstruction, et le travail ne manque pas, et notamment dans les
églises. René a travaillé à celles de
l’Immaculée Conception à Wez-Macquart (
Dutartre, Caro et Ramonatxo arch.), Saint-Laurent à
Prémesques (R. Bonte, arch.), Saint-Pierre à
Sainghin-en-Weppes (P. Vilain, arch.).St Symphorien à
Deulémont, ( Tricart, arch. ) Flines-les-Raches (
détruite ) La Chapelle d’ Armentières (
Dutartre, Caro, et Ramonatxo arch ) Sacré Cœur et St
Pierre à La Gorgue ( Croin arch ) St Pierre à
Merville ( Messieurs L.M. et L.G. Cordonnier arch ) Neuve Chapelle,
( F. Talaine arch ) N. D de Pellevoisin à Orchies (
détruite ) Chapelle Bonsecours à Peruwelz Belgique (
détruite ) St Léger à Vendin le Viel, (
Messieurs Duquesnoy arch ) Verlinghem, calvaire,( G. Delerue arch )
Vimy, N. D. des Mineurs à Waziers, église polonaise.
( Messieurs Cordonniers arch)
– 1922 - 1935 –
Eglise du Saint-Sacrement à Vieux-Berquin (toujours avec
Cockenpot (ou son fils), architecte de la première
église).
– 1930 –
Saint-Pierre à Vieux-Merville (L. Cordonnier, arch.), avec
Clotaire Dumont, associé, autels et statues,
bénitiers.
– 1930 –
Décès de Marie- Clara. Nouvelle tombe de la famille
Delgutte, transférée au nouveau cimetière de
Mons en 1966.
– 1931 - 1932 –
Deuxième séjour de René en Algérie
(Alger, Oran entre octobre 1931 et mars 1932, Bougie jusqu’en
juillet 1932). Banque d’Algérie à Alger,
Constantine, Bougie, Oran (G. Umbdenstock, arch.).
Cathédrale d’Oran. Hôtel particulier à
Alger.
– 1939 –
L’activité de l’entreprise est suspendue pendant
la guerre, mais reprendra partiellement après 1945 pour
s’arrêter en 1955 : René à alors 72
ans.
L’ensemble des informations proviennent des archives de
la famille Delgutte, réunies par Annie Beaurenaud,
arrière petite-fille de Désiré, et
recoupées, vérifiées et
complétées par les publicités et revues de
l’époque par Gilles Maury, architecte et historien,
avec l’aide des membres de l’association historique de
Mons-en-Barœul.