Ces maisons étaient plus que modestes, sans confort, et l'on peut se demander de nos jours, comment des générations de familles y ont vécu. Les commodités qui nous sont coutumières, et comme allant de soi, telles le chauffage central, le cabinet de toilette, étaient bien entendu exclues. De plus, il n'y avait pas l'eau courante, juste une pompe à l'extérieur, commune aux quatre familles locataires. Il fallait sortir par tous les temps pour aller chercher l'eau au puits. Les WC étaient à l'extérieur, d'où la nécessité d'utiliser des seaux hygiéniques. "
En outre, l'espace était particulièrement exigu. Il y avait au rez-de-chaussée deux petites pièces, tout au plus 20 m2, avec entrée directe, et deux pièces identiques à l'étage. La plus belle d'entre elles, celle de la salle à manger dirions-nous, donnait sur la rue Parmentier. C'est de celle-ci que partait l'escalier qui menait aux chambres. L'autre, que nous pourrions appeler la cuisine, était située à l'arrière de la maison. Ces quatre habitations étaient desservies, devant comme derrière, par un petit trottoir. Derrière, dans le prolongement des maisons, se trouvait une accumulation de petits baraquements où s'entassaient les outils, le bric-à-brac nécessaire à chacun, ainsi que des enclos pour les animaux de la basse-cour. Suivaient ensuite d'immenses jardins potagers qui longeaient la rue Montesquieu. Plusieurs générations ont vécu dans une même maison. Ainsi, on peut en retrouver la trace, notamment pour deux familles, à l'aide de divers dénombrements de population et d'actes d'état civil, dans cette rue qui s'appelait alors la rue St Martin.
1) - Dans la maison qui faisait l'angle avec la rue Montesquieu
D'abord Pierre Grymonpon, né à Ledeghem près de Menin, et son épouse Fidéline Boussemart, originaire de Croix, lesquels étaient tous deux ouvriers teinturiers. Trois de leurs quatre enfants y sont nés : Théodule en 1860, Fidéline en 1865 et Clara en 1866. Théodule fit sa vie à Flers, tandis que les deux filles se marièrent à Mons-en-Baroeul, Fidéline avec Jules Regolle, et Clara avec Alfred Blondel. Les quatre premiers enfants de Fidéline virent le jour dans cette maison, deux d'entre eux y décédèrent en bas âge, et Clara y mit au monde son dernier enfant. Eugène et Marie Regolle, ainsi que Marie Blondel, furent élevés pendant plusieurs années par leurs grands-parents Grymonpon. Enfin, le couple Eugène Regolle et Marie Desmet, qui a donné naissance, en 1907, à Eugène Regolle fils. Cela représente quatre générations d'une même famille.
2) - Dans la seconde maison, vécut la famille Morlighem
La photographie ci-contre date approximativement de 1909. Y sont représentés : Auguste Morlighem, l'ancien avec sa grande barbe et ses sabots, qui avait été contremaître ajusteur, et probablement sa femme, à gauche sur la photo, Louis Blondel, le jeune homme avec la bêche, fils de Clara nommée ci-dessus, Marie Desmet avec son jeune enfant, Eugène Regolle, et peut-être Fidéline Boussemart, la dame la plus âgée (décédée en 1912).
On peut imaginer un photographe ambulant, proposant ses services, à ces quelques personnages surpris dans leurs travaux quotidiens, n'ayant même pas le temps de mettre leurs plus beaux atours. Pourtant, il semble bien que l'une des femmes ait eu le temps de passer un tablier propre, puisqu'on en voit encore les plis du repassage. De même pour l'enfant, que sa mère a tenu à vêtir de ses habits du dimanche, en fille, comme cela se faisait autrefois.
Ce que l'on peut dire, grâce à un recensement de population de 1886, c'est que M. et Mme Auguste Morlighem habitaient la rue St Martin, avec leurs 10 enfants, échelonnés de 18 ans à 1 mois, et que M. et Mme Pierre Grymonpon (devenu Grimonpont au fil du temps), habitaient la maison voisine avec deux enfants et deux petits enfants. En 1896; pour la famille Morlighem, il n'y avait plus « que » 9 personnes vivant sous le même toit, alors que pour la famille Grymonpon, le nombre était passé était passé de 5 à 9, par rapport au dénombrement précédent.
Autre sujet d'intérêt, le chef de famille, l'épouse, les enfants et les petits-enfants, étaient tous de nationalité belge, alors que leur origine belge remontait à la troisième génération, et ceci pour ces deux familles. Une des filles Morlighem, Virginie, née en 1885 à Mons-en-Barœul, mariée à Lucien Dewitte, continua à habiter la maison familiale. Qui n'a pas connu « Nini » dans le quartier ? C'était un peu la gardienne de la pompe, car, comme on peut se l'imaginer, pour les enfants, c'était un jeu d'actionner le bras de la pompe pour faire couler l'eau. Nini alertée par le bruit, faisait le gendarme... Son mari, Monsieur Lucien, travaillait à la brasserie du Coq Hardi. Il jouait du piston et avait pour passe-temps la reliure. Il était très habile, il confectionnait des sous-mains et de jolies cartes décoratives ornementés de motifs découpés. Ils eurent deux garçons, Gaston et Lucien. Trois générations Morlighem vécurent donc dans la même maison.
Une ancienne habitante du quartier, Madame Madeleine Arnold-Regolle, rappelle que ses parents, Jules et Juliette, ont également vécu dans la même maison familiale, et que trois de leurs enfants y ont vu le jour.
« Nous avons quitté en 1933 pour habiter dans cette même rue Parmentier, une des 8 maisons de la loi Loucheur, maison plus grande et plus confortable. Cette rangée de maisons existe toujours actuellement. Après notre emménagement, nous avons continué à voir Lucien Dewitte qui avait été notre plus proche voisin. Papa et lui avaient beaucoup de choses en commun, ils avaient fait la même guerre 14-18, et notre jeunesse a été bercée par leurs histoires de tranchées. Lucien et papa avaient tous les deux un don de conteur, et ils nous fascinaient pendant des heures. La coïncidence a voulu qu'ils soient enterrés face à face dans la même allée du nouveau cimetière, où ils continuent sans doute, à se raconter leur guerre. La femme de Lucien, dite Nini, avait bien sûr un caractère, mais elle avait aussi bon cœur, et nous avions souvent des poires, de la rhubarbe et au printemps du lilas mauve à fleurs triple qui embaumait tout le quartier.
Après guerre, et jusque dans les années 60 à 70, la première maison fut habitée par la famille Hantson. M. Hantson travaillait à la SNCF et, au lieu de l'enfilade de petits baraquements, il avait fait installer un wagon de chemin de fer, ce qui n'était pas rare durant cette période.
Dans la deuxième maison, habitait encore le couple Dewitte-Morlighem, cité dans la première partie. Ensuite, venait le couple Pierre Charlon et Andréa Caucheteur et leurs trois enfants. Les pompes funèbres, naguère, n'offraient pas les mêmes services qu'à présent. C'est Andréa Caucheteur qui était sollicitée pour ensevelir ses voisins défunts. Lors du décès de Lucien Dewitte, survenu dans sa chambre à l'étage, ce fut Eugène Regolle qui prit en charge la descente du corps sur une chaise, ce qui ne fut guère facile, compte tenu du poids du défunt et de l'étroitesse de l'escalier.
Enfin, suivait la quatrième maison, habitée par le couple Victor Pyotte-Cécile Godon. Leur fille Ginette Hildevert, née d'un premier mariage, mariée, vivait chez ses parents avec son fils Bernard. Les grands-parents étaient appelés mémée Cécile et pépé Victor, tout naturellement, par les enfants du quartier. Ils travaillaient tous les deux à Fives, chez Colmant et Cuvelier. Cette maison présentait un intérêt certain : il y avait là un poste de télévision, ce qui était rare à l'époque et, bien souvent le jeudi après midi, quelques compagnons de jeu de Bernard étaient invités à suivre l'émission « Martin et Martine ». Durant ces années où il y avait pénurie de logements, trois générations habitaient sous le même toit.
Cette photo date de 1952, environ. Sont présents, Lucien Dewitte et sa femme Nini, ainsi que les enfants Jacques et Annie Regolle. S'agissant de la façade côté rue Parmentier, on peut remarquer que ce groupe de maisons était surélevé par rapport à la route, placé sur une butte d'environ un mètre de hauteur. Ceci est un des aspects du dénivelé entre le haut et le bas de Mons. Sur ce talus, les herbes folles y poussaient. Plus tard, il sera consolidé par un joli mur en pavés, lequel viendra retenir la terre. Vers 1970, le terrain qui prolongeait la maison de la famille Hantson fut amputé sur une partie de sa largeur pour permettre l'élargissement de la rue Montesquieu. À peu près dix ans plus tard, les maisons furent démolies. Une autre époque commençait. De nos jours, reste le joli mur en pavés.